Extrait du Tuyau numéro 3 page 2 ( 29 juillet 1915)

 

Propos d’un prisonnier

 

" La Corvée, rassemblement!"

 

Pour s'appeler "Arbeit" ou "Rabotschi" la corvée n'en sévit que mieux à Quedlinburg. C'est une manne qui tombe sur le prisonnier de guerre matin et soir à l'exception des Dimanches et fêtes carillonnées.

Les heures de rassemblement, qui varient selon les saisons ont une tendance fâcheuse à serrer de près le lever du soleil. Encore étendu sur sa paillasse et tout à ses rêves de liberté ou d'amour, le gradé de service voit se pencher sur lui "l'annonciateur des corvées", Cyrano à la barbe noire et frisée, qui lui murmure avec la plus exquise politesse les mots sacramentels "La corvée s'il vous plait" C'est ainsi qu'à mon tour, sous la pluie et sous le soleil, suivi d'un seul homme qui m'avait laissé la fréquence des départs et des "embuscades", je me suis acheminé mélancoliquement vers la grille.

Là se tient le grand maître de la "Rabotsche" le sergent X aux joues fleur de pêcher; c'est là qu'il prend livraison de ses victimes. Avec une férocité toute juvénile, ce poilu de vingt ans, les empile sur 4 ou 5, les coupe en morceaux, les encadre de sentinelles blondes ou grises et les lance dans remords vers leurs destins divers. Car les corvées sont innombrables comme nos jours de captivité. On ne saurait médire de toutes, mais s'il en est de supportables, voire même de délicieuses, il en est aussi de "verte et de pas mûres" " des indésirables".

Même pour un philosophe quel plaisir voulez-vous trouver à suivre l'éblouissante casquette de capitaine des latrines et à commencer à 25 ou 30 ans des exercices pratiques de vidange.

Et tout ceux qui chantaient si joyeusement jadis sur les routes de France le refrain fameux, "pompons la M...." comme ils doivent regretter aujourd'hui d'avoir osé défier le destin, ce Dieu jaloux du bonheur des hommes!

Par contre quel enthousiasme, quelle concurrence même pour les corvées de ville. Qu'il s'agisse de ravitailler la cuisine en pommes de terre, la commandantur en mobilier ou l'infirmerie en médicaments, les volontaires sont nombreux, caporaux et sergents renoncent s'il en est besoin au bénéfice de leurs galons.

Le soir vous verrez revenir ces élus, les uns chargés de bouquets champêtres, d'autres plus pratiques, d'une copieuse salade de saison, et tous avec le sourire...... ils ont vu des femmes!

 

H. Saussier

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