Extrait du Tuyau numéro 4 page 2 ( 5 Août 1915)

 

Propos d’un prisonnier

 

" Aux colis!"

 

Quel régal pour l'oeil que l'arrivée de la caravane par ce matin plein de soleil! En tête un petit jeune homme imberbe, avec son cahier sous le bars, et deux robustes poilus qui coltinent les sacs bourrés de "postaux", sur le flanc gauche, l'air triste et doux malgré ses longues moustaches à la gauloise, marche le sous-officier de services. Puis dans un aimable désordre, voici la foule anonyme des porteurs. Vous y trouverez de tout, des rescapés de la corvée, des tampons, des volontaires, des malades, des caporaux et des sergents, j'ai même vu un musicien. Les temps sont durs, on a râclé les fonds de baraque et l'opération m'a l'air fort proprement exécuter.

Le traversée du camp s'effectue parmi des hurlements qui s'entrecroisent - "T'as mon colis?" Es-t-y lourd? C'est un pain. Il est moisi, nom de D...! T'en as deux. (c'est normal) Quatorze pour Gilbert! (c'est vraiment peu)

On fait queue maintenant à la porte du séchoir où s'opèrent l'autopsie et la livraison finales. Comme partout il y a les malins qui passent avant les camarades, les richards qui corrompent les employés avec l'or échappé à la Reichsbank et quelques philosophes qui se chauffent les douilles au soleil attendant les dernières places qu'on ne leur disputera plus.

Une signature et vous voilà face à face avec le colis, parfois si impatiemment attendu. A elle seule l'adresse écrite avec tant de soins vous révèle toute la sollicitude de ceux que vous avez laissés là-bas... au pays! Mais les ficelles sautent, la toile cède sous le couteau agile du jeune G.ngn, qui nous aime assez pour abandonner les jolies clientes de la Cie des Transat. L'interofficier jette un regard bienveillant sur le contenu, émet parfois un "fein" approbateur. Vous êtes paré au suivant!

Et voilà devant vous le "Tout Colis" du 1er Camp. Un caporal passé au bleu d'azur se dirige vers son repaire de la IB avec une nombreuse escorte. Des pots de beurre salé défilent aux mains des "Normands" "pur jus". A l'instant un manochard de la lointaine Bretagne, laisse échapper des "Ma Doué" amers, au souvenir d'une précieuse fiole qu'il s'est laissé faire aux pattes. Enfin mon excellent confrère des sports jette un regard napoléonien mais sans tendresse sur un mélange de sardine et de pâté de foie.

On ferme!

H. Saussier

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