3 - 10 Mai 1916    N°39

 

LE TUYAU

Organe intermittent des Prisonniers de Quedlinburg

 

 

Rédacteur en Cf:                                        Rédaction Administration  

Jules Monjour                                                          Baraque 6.A

 

Versailles, Fontainebleau, Compiègne (fin)

 

Si le parc de Versailles est l'œuvre d'un architecte, la nature n'a subi par contre, à Fontainebleau, aucune contrainte. Après la symétrie, le chas.

Chaos d'autant plus surprenant que rien ne laisse prévoir, sans autre transition que le passage sous quelques mètres d'une futaie centenaire, le touriste qui vient à quitter les routes de la fastidieuse plaine de Brie voit se dresser devant lui des rochers aux formes souvent étranges. Il trouvera sans peine un sentier qui lui fera contourner ou escalader ces blocs de pierre, et pendant des heures d'un marche assez pénible, à travers des gorges ou par-dessus des buttes escarpées, il pourra avec un peu d'imagination se croire au pied d'une cime des Alpes, dont le sommet lui serait caché par les arbres, il ne sera pas d'ailleurs sans rencontrer quelque Tartarin parisien en costume d'ascension, chaussés de souliers de montagne et armé d'une canne ferrée peut-être même d'un alpenstock.

Ce sont moins ses hautes futaies et ses chênes séculaires qui font le charme de la forêt de Fontainebleau que ses accidents de terrain et l'aspect chaotique de son sous-bois. Passons quelques h(censure) d'une claire matinée d'été sous ses ombrages et commençons par grimper. Du sommet du Calvaire ou, mieux encore, du belvédère du camp de Chailly, nous dominons une grande partie de la forêt. Devant nous, c'est une succession de vallons et de coteau de verdure que forment les sommets des arbres, des massifs de bouleaux jettent ça et là une tâche claire, une gorge plantée de sapins nous semble un abîme insondable, au loin, la plaine toute dorée, nous renvoie la lumière solaire dont nos yeux ne puissent plus supporter l'éclat. A nos pieds un incendie récent a fait son œuvre, les rochers ne sont dissimulés, sous aucun feuillage, seuls, quelques troncs carbonisés se dressent encore, funestes, au-dessus des genêts et des bruyères que le vent a semés dans le sable mélangé de cendre. C'est vers ces lieux sinistres que nous nous dirigeons. Est-ce Franchard, est-ce Apremont? Qu'importe. Ces deux gorges sont également arides, également rocheuses; toutes deux ont leurs crevasses, leurs aiguilles, leurs cavernes. Mais, quelque étrange que puisse te paraître ma proposition, ami touriste, nous attendrons le nuit pour errer dans les petits sentiers sableux qui serpentent les rochers.

Dès que la lune aura éclairé d'un jour bleuâtre et velouté notre champ d'excursion, nous nous mettrons en marche lentement, prudemment, pour éviter les chutes et les collisions toujours désagréables, avec les arbres ou les rocs qui souvent surplombent.

Deux monstres apocalyptiques gardent l'entrée du sentier, énormes blocs de grès que les pluies et les vents ont étrangement corrodés. Plus loin, émergeant des touffes de genêts, nous apparaissent des rochers aux formes bizarres auxquels l'imagination toujours fertile des promeneurs a donné les noms les plus divers; nous passons devant le Rhinocéros, l'Eléphant, le Champignon géant, l'homme qui dort, la femme couchée. Que sais-je encore? La pale lumière lunaire donne à tous ces blocs une teinte opale, les ombres sont nettement tranchées, toutes les choses sont grandies. Tantôt nous dominons les éboulis, longeant parfois un abîme dont nous ne pouvons apercevoir le fond. Tantôt nous nous glissons dans une

 

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