des parterres leurs attributs surannés avec ses places retirées où près des débits de cidre, des femmes assises en plein vent mettent sur la plaque rougie de leurs poêles de fonte la pâte grise qui fera les gazettes de sarazin, avec ses faubourgs enfin où survivent encore quelques une de ces lanternes à poulie qui furent les réverbères d'autrefois et où de tous les sous-sols monte le tic-tac trépidant des métiers à tisser. Elle est charmante mais à quoi bon vous la décrire davantage?

Vous ne la connaissez pas sans doute, mais vous en connaissez d'autres, petites villes de l'Est aux toits rouges petites villes ensoleillées du Midi qui toutes ressemblent à la petite ville de l'Ouest, parce qu'elles sont, comme elle, paisibles et aimables, et que l'on y peut loin du grand Paris affairé, oublier qu'il est des lieux par le monde où la vie n'est qu'âpre effort et perpétuel inquiétude.

Elle est facile au contraire dans les petites villes, et l'on y est riche à peu de frais. Aussi les Lavallois, bornées d'ailleurs dans leurs désirs et convaincus avec le sage, que le bonheur est dans la médiocrité, ne connaissent-ils pas le souci d'argent. Les uns, pour la plupart représentant des anciennes familles nobles de la région, sont des propriétaires ruraux. Possesseurs de gentilhommières à la campagne tandis qu'ils n'ont en ville qu'un pied à terre, où ils passent la mauvaise saison, ils vivent à l'aide des débris de vieilles fortunes terriennes que les partages ont amoindries mais que rétablit parfois le hasard d'un héritage ou d'un mariage riche. Les autres, les filateurs, car depuis des siècles Laval fait du coutil après avoir connu de promptes réussites au temps du tissage à bras ont vu, sans doute leur situation diminuée par la diffusion du tissage mécanique et la concurrence du Nord de la France. Mais, malgré tout, ils conservent dans leur demi-déchéance des airs de demi-opulence. Les fonctionnaires n'ont pas de peine à faire figure en dépit de l'exiguïté de leurs traitements. Les ouvrier enfin, si leurs salaires sont médiocres sont moins ignorés qu'à Paris et plus aisément secourus, en cas de besoin, par les oeuvres d'assistance. Il n'y a donc pas de très grandes misères, s'il n'y a pas de très grosses fortunes, à Laval, et c'est en effet, une des plus heureuses caractéristiques de la petite ville française que cet équilibre a peu près  général des situations.

D'où vint alors que certains Lavallois, ne soient pas plus attachés à leur ville? C'est que vraiment les distractions y sont trop rares. Tous les habitants, à vrai dire, n'en ressentent pas la privation. Il en est à qui la religion suffit pour remplir leur vie. Je revois d'ici, au moment où j'écris, une maison familière à mon enfance. Elle est située dans un quartier de chapelles et de cloîtres. Elle-même a l'aspect d'un couvent. Ses fenêtrent s'ouvrent peu sur la rue, ses couloirs sont silencieux, ses chambres nues comme des cellules. Les tours gothiques d'une église voisine, écrasent de leur ombre le jardin rectiligne et sans grâce. La sonorité grave de l'horloge avertit de chaque heure qui tombe dans l'éternité. Dans cette maison habite une famille qui fut nombreuse, mais dont il ne reste plus que deux enfants. Le fils est prêtre, la fille qui a renoncé à se faire religieuse pour ne pas abandonner ses parents mène auprès d'eux une vis monastique toute de prières et d'austérité. Ni l'un ni l'autre n'ont jamais été effleurés d'une pensée profane. Quoique vivants, ils sont déjà morts au monde. Je pourrais citer d'autres exemples. Elles ne sont pas rares en effet, dans cette ville de foi vive et d'ailleurs susceptible, ne fut-elle pas un des berceaux de la Chouannerie? les âmes que le "siècle" effraie ou rebute et qui se réfugient en Dieu, âmes quelquefois orgueilleuses, quelquefois un peu sectes, car la piété ne se traduit pas forcément en charité, mais toujours droites et qui, à tout prendre, ne sont pas médiocres puisqu'il ne faut pas moins que l'Infini pour les contenter. Il va de soi, pourtant, que ce n'est pas la majorité. Or ceux qui aiment la vie et qui estiment avoir le droit d'en goûter tous les plaisirs honnêtes, force m'est bien d'avouer que la petite ville en général, que Laval en particulier ne leur offre rien qui les puisse satisfaire.

Qu'a-t-elle, en effet, à leur proposer, comme divertissements? Ses réceptions, les bals à la Préfecture ou chez les chefs de service, avec l'éternel badinage du substitut et son dernier bon mot toujours semblable à l'avant-dernier? Plaisir de choix sans doute, mais dont on se lasse. La musique du Jeudi et du Dimanche, avec le public assis en couronne autour du Kiosque où joue le Xème d'Infanterie? Distraction, je l'accorde. Mais on ne peut pourtant pas aller entendre deux fois

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